Quand la céramique devient jeu
Quelques mois seulement après leur rencontre fortuite, en décembre 2004, la galerie Prisme – nommée à l’époque Les Temps Modernes – organisait, en juin 2005, une importante rétrospective du travail d’Andrée (née en 1936) et de Michel (1936-2020) Hirlet. Ils figurent depuis parmi les artistes permanents les plus prestigieux de la galerie, laquelle défend aussi la céramique, la peinture et le mobilier des années 1950 à nos jours. La galerie célèbre, en octobre 2025, les vingt ans de cette fructueuse collaboration et expose une vingtaine de pièces inédites du couple de céramistes plasticiens : pyramides découpées et visages schématisés insérés dans divers contenants qui résument leur art foisonnant et en perpétuel renouvellement.
Symbole d’équilibre et forme complexe avec sa base carrée et ses faces obliques, la pyramide traitée par Andrée Hirlet se fragmente en plusieurs parties irrégulières qui s’emboîtent à la manière d’un puzzle. La galerie présente aussi un ensemble de pièces autour du thème du visage. Les bols-visages sont des contenants qui ont perdu toute fonction utilitaire puisqu’ils renferment des têtes aux traits schématisés à l’extrême et formées de plusieurs modules de tailles différentes. Les compositions-puzzles sont des plaques fractionnées en une dizaine de morceaux amovibles, ornées de visages stylisés de face ou de profil et installées dans des boîtes fermées.
Les céramiques en terre chamottée sont soulignées par des émaux satinés posés en aplat uniforme qui contrastent avec des zones laissées brutes. La palette présente des tonalités naturelles de beige et de brun ainsi que des bleus, des verts et des jaunes plus francs et lumineux qui dynamisent les pièces.
L’esprit du jeu de construction a présidé à la réalisation de toutes ces œuvres. La simplification et le cloisonnement des formes, la réflexion autour du puzzle ainsi que la fragmentation d’un volume en de nouveaux modules sont caractéristiques du travail des Hirlet. S’ils ont utilisé ce système de modulation pour des pièces de grand format, l’originalité des céramiques visibles à la galerie Prisme est que le petit format permet au visiteur d’interagir avec l’œuvre. Il peut construire et déconstruire l’objet, chercher et découvrir des formes inattendues, bref, jouer avec l’œuvre céramique. Le jeu est doublement présent, car le spectateur doit non seulement diviser puis reconstituer la composition initiale, mais aussi identifier les traits du visage : yeux, nez et bouche rendus par de simples signes quasiment abstraits.
Partir du vivant pour en extraire le côté plastique est un objectif récurrent dans l’art d’Andrée et Michel Hirlet. La frontière entre abstraction et figuration est résolument subtile, conférant à leurs œuvres une puissance formelle et une dimension poétique rare et touchante.
Stéphanie Gachon — Maison du Chanoine
Article paru dans la Revue de la Céramique et du Verre de septembre / octobre 2025
